« Sans objectif »

Fin août 2020, l’association L’inter(s)tisse est intervenue au cœur du quartier de l’Épine, à Hellemmes-Lille, un quartier dit « prioritaire de la politique de la ville », dénomination attribuée en France depuis 2014 (loi n° 2014-173 du 21 février 2014) aux quartiers jugés défavorisés. L’action portée par l’association avait pour objectif de rencontrer les habitant.e.s, les plus âgées comme les plus jeunes, en échangeant avec elles et avec eux autour de la chanson et notamment du patrimoine chansonnier d’Hellemmes. Des temps de discussion, ateliers de dessin et de chant se sont ainsi mis en place à partir de cette démarche. Le récit qui suit a été écrit par Clothilde Gruson, alors en service civique dans l’association.

Cette semaine pluvieuse, automnale annonce la fin des vacances scolaires d’été. C’est aussi le tout début de mon service civique, ma première semaine dans l’association, une intervenante artistique de L’inter(s)tisse m’a proposé de l’accompagner pour donner des ateliers dans un quartier de la ville d’Hellemmes que je ne connaissais pas et qu’elle m’avait décrit comme très enclavé. En effet, le quartier pas loin à vol d’oiseau reste très difficile d’accès : peu de transports en commun et de nombreux zig zag dans les rues de la ville d’Hellemmes pour contourner le chemin de fer qui le sépare du reste de la ville. Nous nous sommes rendues tous les après-midis de la semaine en voiture qui a été malgré nous le moyen de transport le plus pratique pour s’y rendre et transporter le matériel.

Nous avons été présentes toute la semaine de 14h à 16h. Le temps extérieur ne nous a pas permises de nous mettre en extérieur, dans les jardins comme prévu. La pluie a eu raison de nous et nous a fait nous rabattre dans cette petite salle préfabriquée, au milieu de barres d’immeubles, appelée l’Akado. A peine nous avons ouvert la salle, quatre enfants (frères et sœurs, voisins, voisines) sont venues nous rencontrer. Pour certain.e.s ils ont eu connaissance de l’atelier inscrit sur le programme des activités proposées par la ville pour les habitant.e.s des quartiers au cours de l’été, tandis que pour d’autres, c’est en voyant la porte ouverte et les contrevents levés depuis leur appartement, qu’iels ont passé le pas de la porte, souvent sans hésitations. Au cours de la semaine, nous nous sommes rendues compte de l’importance que représente cet espace pour les habitant.e.s du quartier et surtout pour les enfants.

Au fur et à mesure de la semaine, dans cette salle de l’Akado, équipement communal, lieu qui n’était ni le nôtre, ni le leur, nous nous sommes appropriés les lieux. Nous avons proposé différents ateliers autour de la pratique du dessin et de la peinture et autres outils d’expression plastique disponibles avec des enfants. J’ai pu apprécier le contact avec les enfants qui nous ont transmis une force de vivre spontanée et nous ont livré des instants de joie et de jeu autour du dessin et de la peinture, ainsi qu’un lâcher prise qui s’est ressenti dans leurs gestes et les couleurs choisies. Chaque enfant a eu l’occasion d’essayer plusieurs techniques pour s’exprimer ce qui a donné lieu à des œuvres hautes en couleurs. J’ai apprécié la possibilité donnée par l’intervenante pour que les enfants se sentent le plus libre possible pour s’exprimer et se lâcher des contraintes quotidiennes, mentales, sortir du formatage scolaire dans lequel iels sont enfermé.e.s. Cela a donné des séances très explosives où j’ai eu l’impression d’une tempête passée à la fin de la séance, au moment du rangement.

Une tempête s’active par les gestes des enfants debout derrière la grande feuille de dessin.

Cette semaine a été l’occasion de prendre connaissance et de m’approprier une partie du projet Hellemmes en chansons dans le quartier de l’Epine. Elle m’a permis surtout de m’imprégner directement et très concrètement des interventions artistiques proposées par L’inter(s)tisse au cours de cet atelier avec des enfants du quartier. Je me suis confrontée à l’encadrement d’ateliers d’arts plastiques, ainsi qu’aux relations qui se lient entre les intervenant.e.s, ici des adultes extérieurs au quartier et les enfants de l’Epine. Les relations se sont construites avec les enfants au fur et à mesure de la semaine. Une confiance s’est instaurée des enfants à nous : les enfants nous ont livrés des créations très personnelles. Pour la plupart, iels sont revenu.e.s d’une séance à l’autre. Une confiance qui s’est également construite de moi aux enfants et à l’autre intervenante. Je me suis sentie de plus en plus à l’aise à prendre des initiatives dans le déroulement de l’atelier.

                     

Les enfants qui n’hésitent plus et se lâchent dans des œuvres collectives.

L’élaboration d’un vernissage autour de l’exposition des œuvres sur les murs de la salle a permis de finaliser et de rendre le travail visible à d’autres personnes : un ami infiltré en « journaliste », les frères et sœurs des enfants, d’autres intervenants présents dans le quartier cet après-midi, passage de deux agents de sécurité de la ville et les enfants eux.elles mêmes. La présence de différent.e.s s’est fait de façon très spontanée en interaction directe avec les habitant.e.s du quartier, en criant depuis la salle vers les appartements, des présences souvent très brèves et furtives. Nous avons joué le jeu en installant la salle, les photos et leurs légendes sur les murs avec des boissons et des petits gâteaux proposés pour « trinquer » à cette exposition. Il a été cependant difficile de mobiliser les parents des enfants présents, ainsi que certains enfants participants aux ateliers n’ont pas pu être présents ce dernier jour.

Le vernissage installé qui n’attend plus que les visiteur.eus.es.

Nous retenons que nous avons dû nous adapter à plusieurs circonstances liées à la réalité que vivent les personnes, enfants comme adultes, présentes dans le quartier. Les réalités sur place nous ont demandé de réadapter nos objectifs de départ et de faire avec le public présent sur place cette semaine. Très vite nos intentions de départ, de recueillir des paroles de chanson liées au patrimoine chansonnier de la ville Hellemmes, se sont avérées quasi impossibles. Nous avons en effet eu contact qu’avec des enfants du quartier qui n’ont pas de connaissance de chansons anciennes. Au contraire, iels nous ont fait par des chansons très actuelles qu’iels écoutent. Les liens tissés avec les enfants ont permis des échanges précieux sur leur manière d’occuper le territoire : les endroits où iels habitent, les endroits qu’iels occupent pour rencontrer leur ami.e.s : un air de jeu dit « l’araignée » ou un stade de foot sont souvent ressortis des discussions, leurs souvenirs dans la salle akado, l’école, leur famille, etc. Nous nous sommes très vite rendues compte que le patrimoine recherché autour de chansons hellemmoises ne correspond pas aux réalités et histoires des enfants et des habitant.e.s en général dans le quartier. Le patrimoine recherché semble cibler des personnes âgées vivant à Hellemmes depuis plusieurs générations et oubliant les personnes immigrées dans la ville d’Hellemmes. Or nous avons été en grande partie en contact d’enfants dont les parents ou les grands-parents sont issus de pays d’Afrique du Nord.

Cette première expérience d’ateliers sur le terrain m’a permis de découvrir une nouvelle partie de la ville d’Hellemmes et d’être en contact d’habitant.e.s aux réalités de vie très différentes des miennes. Elle a été aussi une première immersion dans le quartier de l’Epine m’a permis de prendre la mesure de ces réalités et problématiques de vie. Nous avons pu reparler avec l’intervenante de cette expérience et des conditions de vie et de travail à prendre en compte dans la suite du projet ainsi qu’en prévision d’un futur projet collectif d’intervention dans le quartier de l’Epine. Cette semaine a également été l’occasion de me confronter au fonctionnement politique et institutionnel dans un quartier bien défini à caractère de politique de la ville. Les moyens matériels avec des salles pour l’accueil d’ateliers à vocation artistiques, sportives ou culturels sont quasi inexistants. J’ai donc pris conscience de l’adaptation constante que doivent vivre les intervenant.e.s extérieur.e.s qui viennent proposer une activité dans un quartier où les moyens matériels sont très limités.
Et si les réalités de vie des habitant.e.s sont en décalage avec les intentions politiques et les volontés des intervenant.e.s artistiques extérieur.e.s au quartier ?
Et si la présence d’intervenant.e artistique extérieur.e pouvait apporter une « respiration » dans le quotidien des personnes, une « respiration » dans son milieu de vie, une « respiration » dans son quartier ?
Et si cet atelier au-delà des objectifs fixés au départ a pu être vécu comme une bulle d’expression alternative pour les enfants qui ont participé aux ateliers ?

C’est une belle première expérience de travail avec L’inter(s)tisse sur un atelier qu’on renommera « sans objectif ».

Des œuvres hautes en couleurs réalisées au cours de la semaine! 

C. G.